Avant le coup d’envoi de la saison, on espérait voir un championnat aussi disputé qu’en fin d’année dernière. Sur ce plan, les débuts sont plutôt prometteurs : trois vainqueurs différents en trois Grands Prix – quatre si l’on ajoute Lewis Hamilton, lauréat de la course sprint à Shanghai.
En revanche, en piste, le spectacle se fait rare. Le dernier Grand Prix en est l’illustration la plus nette : plus de la moitié des pilotes ont coupé la ligne à la même place qu’au départ. Dans le top 10, seuls Hamilton et Hadjar ont échangé leur position. Au total, onze pilotes ont conservé leur rang de départ – soit à peine un de moins que lors de la procession à Monaco l’an dernier.
Certes, il n’a jamais été facile de doubler à Suzuka en raison du peu de lignes droites suivies par de forts ralentissements. Mais un autre facteur entre en jeu, à Suzuka, Bahreïn ou n’importe quel autre circuit : le retour de ce que les aérodynamiciens appellent “l’air sale”, c’est-à-dire un flux d’air turbulent. Ces turbulences sont produites dans le sillage de certains éléments, comme les déflecteurs, les vortex, les découpes dans les ailerons, etc.
Le retour de l’air “sale”, à Suzuka, Bahreïn ou ailleurs
Les F1 sont conçues pour fonctionner dans un flux propre ou, dans le jargon “laminaire”, c’est-à-dire un flux rectiligne (comme dans une soufflerie). Or, la turbulence, par sa nature chaotique, reste extrêmement difficile à modéliser. Une monoplace perd donc beaucoup d’appui quand elle en suit une autre. Et quand elle perd de l’appui, elle glisse davantage, ce qui dégrade les pneus.
L’actuelle génération de F1, née en 2022, en perd moins que la précédente grâce à une série de mesures censées réduire les turbulences. En gros, la FIA a imposé un règlement qui réduit l’appui généré par la carrosserie au profit de l’appui généré par le fond plat et qui simplifie le dessin de cette carrosserie en interdisant déflecteurs et ailettes, qui produisent des vortex et de l’outwash (des flux d’air chassés vers l’extérieur, qui gênaient beaucoup la monoplace derrière).
À l’arrivée du nouveau règlement, il y a trois ans, les études menées par la F1 estimaient qu’une monoplace de 2021 pouvait perdre jusqu’à 47 % d’appui à dix mètres de distance, et environ 35 % à vingt mètres. Les F1 de 2022 devaient réduire cet écart à 18 % et 4 % respectivement.
Les objectifs de 2022 détournés
Qu’en est-il aujourd’hui ? Au Japon, il était extrêmement difficile de rester à moins d’une seconde de la voiture qui précédait… En trois ans, les aérodynamiciens ont appris à exploiter les failles du règlement pour améliorer les performances, au détriment de l’esprit du règlement.
Prenez l’exemple des ailerons avant. Alors que le règlement impose que le plan principal et les volets s’intègrent à la dérive en un seule pièce, les ingénieurs ont trouvé le moyen de pratiquer des découpes afin de détourner davantage d’air des roues avant vers l’extérieur (l’outwash) et ainsi gagner en performance.
Même logique du côté du fond plat, dont les bords sont devenus nettement plus complexes. À l’arrière, les ailerons arborent désormais des extrémités visibles sur le volet supérieur – alors que le règlement prévoyait une fusion plus fluide avec les dérives. Là encore, les équipes ont contourné l’esprit du texte pour renforcer l’efficacité aéro de leurs monoplaces.
“Les F1 sont redevenues des machines dictées par l’aérodynamique”
Ces innovations apparues ces deux dernières saisons ont progressivement accentué les effets de l’air turbulent, rendant toujours plus difficile la poursuite d’une voiture, comme l'a relevé Max Verstappen.
Une analyse confirmée par Andrea Stella, le patron de McLaren : “On ajoute constamment de l’appui aérodynamique, ce qui amplifie les pertes lorsque l’on suit une autre monoplace. L’air sale est clairement un problème – on l’a vu en Chine : lorsque Hamilton menait la course sprint, il faisait pratiquement ce qu’il voulait, même avec un pneu endommagé.”
“Même si cette génération de voitures avait été conçue pour permettre de mieux se suivre, le développement aérodynamique a depuis été très intense. Les F1 sont redevenues des machines entièrement dictées par l’aéro. En ce sens, le règlement 2026 pourrait remettre les choses à plat.”
Ce n’est pas la faute des équipes : leur mission est de concevoir la voiture la plus rapide possible. De ce point de vue, le règlement introduit en 2022 n’a pas atteint ses objectifs. La situation ne devrait pas s’améliorer d’ici la fin de saison, au contraire, tant les développements se poursuivent dans la même direction, et ce, même si Pirelli apporte des gommes plus tendres au fil des courses comme elle le fera à Miami et Imola, où les F1 rouleront avec une spécification plus tendre que l'année passée (la macnhe mamériciane verra même débuter l'ultra soft C6).
L’introduction de l’aéro active en 2026 pourrait offrir une solution, tout comme la mise en place d’un boost moteur temporaire à la demande des pilotes. En attendant, malgré un peloton 2025 resserré, certains circuits rendront les dépassements très compliqués. Mais d’autres pas, comme le circuit de Bahreïn, que la Formule 1 visite ce week-end.
En effet, ses longues lignes droites et sa largeur généreuse facilitent les dépassements. Ajoutez à cela une dégradation importante des pneus et plusieurs zones de DRS, et tous les ingrédients semblent réunis pour favoriser les dépassements.
Reste à espérer que cet espoir ne relève pas du mirage…