Feu d'artifice sans bouquet final en Croatie

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Depuis que la Croatie a rejoint le calendrier du Mondial en 2021, toutes les éditions ont été marquantes. Celle-ci intervenant un an après la disparition de Craig Breen, il n'a pas été étonnant de voir à quel point le regretté pilote irlandais est encore très présent dans l'esprit des membres de la petite communauté du WRC. Du mémorial dévoilé par les organisateurs sur le lieu de l'accident en essais privés, aux autocollants sur de nombreuses voitures en passant par la décoration spéciale des Hyundai i20 officielles, les hommages ont été multiples. Le plus beau a peut-être été la baston que se sont livrée Thierry Neuville et Elfyn Evans. Une bataille qui aurait assurément plu à Craig.

Evans-Neuville, chiffonniers en Croatie

S'élançant respectivement en première et deuxième position sur la route, le Belge et le Gallois ont pleinement su exploiter leur ordre de départ. Tout au long de la première journée, ils se sont partagé les deux meilleures places. Frappant le premier, le pilote Hyundai a pris les commandes. Pourtant mécontent du comportement de sa monture, il s'est progressivement détaché, au point de se constituer une marge de 10''1 après 5 ES. L'équipage de la Toyota n°33 a essayé de répliquer, mais cela manquait un peu de mordant. Comme toujours sur le goudron, les écarts restaient minimes et il fallait parfois deux ou trois tronçons pour parvenir à ajouter ou combler 3''. C'est la raison pour laquelle Thierry encaissait si mal une crevaison de l'ES6. Une pierre en plein milieu de la trajectoire perçait une jante et coûtait 10'' à l'attaquant de Saint-Vith. De quoi offrir à Evans et Sébastien Ogier l'opportunité de recoller. Neuville conservait un petit dixième d'avance, mais son moral en avait pris un coup.

Peinant à repartir au charbon, il cédait le trône à Evans (ES7), mais dans un sursaut d'orgueil, le leader de Hyundai Motorsport se faisait violence dans la difficile et plus longue ES de l'épreuve (23,63 km) où il revenait à hauteur de son rival. Après 8 spéciales et 119,74 km chronométrés, les deux principaux animateurs de la journée étaient rigoureusement à égalité. Dans quel autre sport mécanique est-il possible d'assister à un tel scénario ? Cette première journée avait été riche en enseignements confirmant tout d'abord les progrès de la Hyundai, déjà remarquable au Monte-Carlo (victoire de Neuville). Mal à l'aise durant cette étape dépourvue de retour à l'assistance, le Belge était parvenu à faire abstraction de ce handicap en tentant de trouver des ajustements sur les liaisons. « Quand le grip était moyen ou élevé, le comportement de l'auto était bon, détaillait-il, mais dès que cela devenait faible, l'équilibre se transformait et je retrouvais du sous-virage que nous ne connaissons que trop bien et contre lequel j'ai travaillé pour être plus à l'aise dans le glissant. Comparativement à l'année dernière, nous avons progressé, car nous étions en galère sur ce terrain. »

De son côté, le pilote de Cardiff effectuait un bref bilan des difficultés traversées. « Les routes se sont très vite salies au fur et à mesure du passage des voitures. Cela entraîne nécessairement quelques surprises. La neige rencontrée dans Platak (ES5) ne nous a pas réellement gênés, même si cela a légèrement mouillé la chaussée en certains endroits. Comme il était impossible de disposer des informations de nos ouvreurs dans ce chrono, cela a été un peu compliqué, car nous n'avons pas pour habitude de travailler sans eux sur le goudron. Dans ce genre de journée où nous devons être à 100 % du premier au dernier kilomètre, je ne sais pas si je parlerais de plaisir. Il y a en revanche une forme de soulagement quand nous arrivons au bout d'un tronçon sans avoir commis de faute. » Les belligérants se rejoignaient dans leurs réflexions concernant la suite du week-end. « S'il pleut samedi, ce sera un tout nouveau rallye », avertissait Thierry. « C'est déjà tellement glissant lorsque c'est sec, que je te laisse imaginer ce que cela peut donner sur le mouillé, ajoutait Elfyn. Nous devons bien étudier la situation pour prendre les meilleures décisions en matière de stratégie. »

Au sec

Déjà somptueuse le vendredi, la bataille reprenait de plus belle sur les 8 spéciales du samedi, éclipsant les autres équipages. Tandis que la pluie se limitait à quelques gouttes inoffensives, Neuville entamait l'étape bille en tête et reprenait immédiatement les commandes, mais en 15 km, il ne réussissait à distancer le Britannique que de 0''8. Dans les trois tronçons suivants, il se montrait plus mordant, parvenant à ajouter 0''3, 0''9 puis 3''. Thierry avait le sourire à la fin de la boucle, mais son écart était tout de même réduit (4''7) et Evans restait en embuscade.

Le Gallois sortait d'un seul coup de sa boîte dès le lancement de la seconde boucle. Tandis que Neuville s'était élancé avec 2 pneus Tendres, 2 Durs et 2 gommes pour la Pluie, Elfyn avait opté pour 4 Tendres et 2 Pluie et il semblait avoir effectué le bon choix, du moins pour le premier morceau de l'après-midi. Il collait 6''7 à son adversaire et repassait devant. Effectuant des panachages de pneus, le pilote Hyundai repartait à l'attaque et reprenait immédiatement son bien (ES14). Ses petits sourires aux arrivées des ES14, 15 et 16 en disaient plus que de longs discours. À chaque fois, le Belge racontait son plaisir d'être au volant, tout en ne regrettant pas l'absence de la pluie. « J'ai fait une bonne spéciale » est devenu le refrain de cette journée tandis que l'écart augmentait. Cela n'avait pourtant rien de spectaculaire. Admirable dans sa volonté de ne pas laisser la Hyundai s'échapper, Evans achevait l'étape avec seulement 4''9 à combler.

« Nous connaissons tous très bien ces spéciales qui sont chaque année au programme, analysait le leader. Saison après saison, nous repoussons sans cesse les limites. Nous allons toujours plus loin en grattant ce qu'il est possible dans les cordes, en faisant glisser la voiture pour être immédiatement dans la courbe suivante… La marge d'erreur est très fine et il est temps que les organisateurs introduisent de nouveaux tracés ! (Rires) » De son côté, le Gallois ne se reprochait pas grand-chose. « Je ne sais pas si nous aurions dû être plus agressifs dans notre choix de pneus, s'interrogeait-il. Peut-être fallait-il prendre des gommes dures ? Je ne suis pas entièrement convaincu que cela aurait changé beaucoup de choses. Il y a quand même eu quelques glissades pas nécessairement voulues, mais c'était aussi dû aux gommes tendres avec lesquelles je n'ai jamais pris de plaisir à piloter. Avec elles, tu ne peux jamais complètement attaquer. Nous voilà désormais face à un nouveau rallye pour lequel les conditions devraient être plus claires. » Après une première attribution des points samedi soir, la météo du dimanche s'annonçait en effet plus prévisible. Tout était réuni pour un superbe épilogue.

Malgré sa sortie, Thierry Neuville a limité la casse. © Nikos Katikis / DPPI

Au tapis

La course avait été étonnement limpide jusque-là ; or, tout s'est accéléré le dimanche matin. La Croatie qui rime habituellement avec accidents, avait été avare d'incidents dans la catégorie reine. Et puis le tronçon entre Zagorska Sela et Kumrovec a tout chamboulé. Ces 14,24 km ne cessent de tourner dans tous les sens. Cette route qui traverse des fermes et des villages semble ne jamais vouloir s'arrêter de sauter, sans que le rythme ralentisse. Empruntée chaque année, elle est redoutée par les concurrents. Même si les cadors la connaissent par cœur, il peut toujours s'y passer quelque chose. Ayant entamé très tôt leur journée (sortie du parc fermé à 5h35 pour Grégoire Munster, le premier à s'élancer) afin de pouvoir proposer la Power Stage en début d'après-midi, Thierry Neuville et Elfyn Evans avaient vite repris leur duel. Croyant encore à la victoire, le pilote Toyota avait mieux négocié le premier tronçon que son adversaire. Évoluant une nouvelle fois avec des stratégies de pneus différentes (4 Tendres et 1 Dur pour Neuville et 3 Durs et 2 Tendres pour Evans), il fallait attendre l'intégralité de la boucle pour voir qui avait été le plus inspiré. Seulement 2''6 séparaient les deux hommes, et ils partaient tous les deux à la faute en début de chrono ! Elfyn Evans était celui qui s'en sortait avec le moins de dommage, une courbe glissante ayant entraîné un contact contre un talus et un tête-à-queue.

De son côté, Thierry Neuville expliquait qu'une des notes de Martijn Wydaeghe était tombée un peu trop tard et que le virage avait sauté au museau de la Hyundai. Ayant perdu une partie de son aileron arrière et de son appui aérodynamique la i20 blessée n'avait pas de possibilité de passer par l'assistance et sa fin de course allait forcément être compliquée. Si la Yaris finissait le rallye de manière plus fringante, aucun des deux hommes ne tentait de marquer le maximum de points dans la Power Stage. L'importance de la distribution des unités le dimanche sautait aux yeux lorsque Thierry ramenait un seul point et Elfyn 4. Après s'être affrontés comme des morts de faim durant deux jours et demi en offrant un spectacle grandiose qu'il n'est pas toujours simple de traduire en images, ils devaient laisser à d'autres (Katsuta, Tanak…) le plaisir de faire le plein. Les deux rivaux ayant inscrit tous les deux 19 points, la situation ne change pas au championnat. Evans reste distancé de 6 longueurs par rapport à Neuville.

« Il y a de la frustration à l'arrivée de ce rallye que nous espérions remporter tout en ajoutant des points aujourd'hui, concluait le Francophone. Ce n'était pas gagné. L'écart entre nous était réduit et cela n'a pas fonctionné. Nous ne perdons cependant rien au championnat par rapport à Elfyn. Je ne pointe pas du doigt mon copilote. Je commets des erreurs et cela lui arrive aussi. Cela a été un week-end compliqué pour les navigateurs. Là, la note est tombée un peu tard et je n'ai rien pu faire. Nous allons analyser pourquoi cela s'est produit. Il n'y a pas de quoi en faire un drame. Nous réalisons tout de même une bonne opération au championnat où nous avons été récompensés de notre début de course. Cette épreuve a encore montré qu'il est extrêmement difficile de faire des écarts et que la compétition sera serrée. »

De son côté, Elfyn Evans tentait aussi de positiver, mais on sentait qu'il ne croyait pas à ses propres paroles. « Nous avons appris des choses, notait-il. Je sens mieux la voiture dans les portions sales. Nous avons cependant commis quelques fautes en choix de pneus, comme dimanche. Concernant le championnat, je préfère ne pas m'étendre. Ce système de points est une pure plaisanterie. Je ne comprends vraiment pas son intérêt. » Réunis au championnat et dans la bagarre, Evans et Neuville seront bientôt au départ du Rallye du Portugal (9-12 mai) avec peut-être le même problème de balayage à solutionner, et de points à aller chercher.

« Saison après saison, nous repoussons sans cesse les limites. Nous allons toujours plus loin en grattant ce qu'il est possible dans les cordes, en faisant glisser la voiture pour être immédiatement dans la courbe suivante. » Thierry Neuville (Hyundai, 3e)

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