Romain Grosjean fête ses 38 ans : « une année pleine de découvertes »

Cette interview a été réalisée en janvier 2024, pour le n°2444 d’AUTOhebdo.

Dans quel état d’esprit abordez-vous cette nouvelle saison ?

Entre le projet Endurance avec Lamborghini, la saison IndyCar chez Juncos, et les courses F1 que je devrais de nouveau commenter sur Canal+, le programme s'annonce chargé. Typiquement, là je suis en train de regarder le calendrier, et ça me fait un peu peur ! J'ai quelque chose comme 31 week-ends de course ! C’est une année pleine de découvertes : découverte du prototype en Hypercar, redécouverte des 24 Heures du Mans (une participation dans la catégorie GT en 2010 au sein du Matech Competition avec Thomas Mutsch et Jonathan Hirschi. Ndlr), et découverte aussi de l’équipe Juncos. Ce sont des projets stimulants. Il y a pas mal de pain sur la planche, beaucoup d'efforts à fournir de tous les côtés. Mais je suis content d’évoluer au sein de ces deux équipes qui sont motivées, joyeuses, et ont vraiment envie d’aller faire des coups.

Quelles ont été vos premières impressions de la Lamborghini SC63 que vous avez pu tester fin 2023 ?

C'est un joli mélange entre une GT et une monoplace. Cela reste des voitures sophistiquées sur le plan aérodynamique, mais les prototypes sont également lourds. Ils dépassent les 1 000 kg sur la balance, et on le ressent au volant. À chaque fois que l'on a roulé avec la voiture, je me suis éclaté. J'ai pris beaucoup de plaisir. La Lambo est vraiment agréable à piloter, et très belle pour ne rien gâcher. C'est en outre un beau projet avec une équipe (Iron Lynx. Ndlr) qui a vraiment envie de réussir. La puissance humaine est certes, un peu moindre que celle d'un manufacturier comme Porsche, mais il y a tout de même de beaux moyens.

Vous allez participer aux courses Endurance de l'IMSA avec Andrea Caldarelli et Matteo Cairoli. Pourquoi avoir choisi ce championnat et non le WEC ?

Il s’agissait une volonté commune. Personnellement, j'avais envie de rouler en IMSA, car je vis aux États-Unis, et puis j'aime bien les courses à l'américaine. En outre, il n'y a que des Hypercars LMDh en IMSA, d'où une Balance de Performance plus clémente. D'ailleurs, vous constaterez qu'aucune LMDh ne s'est imposée en WEC l'an dernier (Toyota et Ferrari, qui se sont partagé les victoires, alignent en effet des Hypercars LMH. Ndlr). Donc si je prends en compte l'aspect performance, vie de famille, logistique, etc. C'était un choix logique.

© Lamborghini

Connaissez-vous tous les circuits nord-américains où vous allez courir cette saison ?

Road Atlanta, la piste de Petit Le Mans, est la seule où je n'ai pas encore roulé. On a une ou deux journées d'essai planifiées là-bas avant la course. Je ne connais pas Watkins Glen, dans l'état de New York, non plus, toutefois ce week-end-là je serai de toute façon pris par une manche IndyCar à Laguna Seca en Californie (23 juin. Ndlr). J'adorerais faire le Glen, mais il y aura d'autres occasions dans ma carrière.

On vous retrouvera aux 24 Heures de Daytona dès la fin du mois.

Oui, mais dans la catégorie GTD, à bord d'un Huracán GT3 qui aura reçu quelques évolutions.

GT, Hypercar, IndyCar : vous n'allez pas lever le pied en 2024 !

En effet. Par exemple, rien que ce mois-ci, je serai à Daytona les 20 et 21 janvier pour le « ROAR Before the 24 » (dernière répétition générale avant les 24 Heures de Daytona. Ndlr). Les 23/24, je roule en IndyCar à Homestead pour des essais, et dès le 25 je suis de retour à Daytona pour les 24 Heures.

Les 15 et 16 juin, le public du Mans aura le plaisir de vous revoir dans la Sarthe pour la première fois depuis 2010 et votre seule participation en GT à l'époque.

Je me réjouis vraiment de revenir au Mans. Il va juste falloir que je trouve un moment pour aller dans le simulateur. Le règlement m'impose en effet une séance. Je ne peux pas faire la Journée Test la semaine précédente (9 juin. Ndlr), car nous serons à Road America en IMSA. J'essaie de faire au mieux niveau logistique et de trouver des vols pour arriver en Europe le plus tôt possible… mais aussi repartir très vite, parce que le week-end après les 24 Heures du Mans je roule à Laguna Seca en IndyCar (23 juin. Ndlr).

Lamborghini, comme Alpine, arrive en Hypercar un an après la majorité des constructeurs : avantage ou inconvénient ?

C'est compliqué d'établir une hiérarchie, déjà parce qu'il y a cette réglementation LMH/LMDh difficile à gérer au niveau de la BoP, car on parle de technologies vraiment différentes. L'avantage que vous avez en arrivant un an après les autres, c'est que vous rencontrez moins de problèmes de jeunesse, notamment au niveau de la partie hybride, qui a déjà été déverminée et éprouvée en course. En revanche, on affiche forcément moins d'expérience que nos concurrents. Sans compter que nous sommes une toute nouvelle équipe. Il y a beaucoup d'éléments à mettre en place. Nous sommes réalistes et conscients de la situation, tout en ayant envie de faire bien les choses.

La SC63 sera la première LMDh dotée d'un châssis Ligier. En quoi est-ce une opportunité ?

Ligier était partant pour ce projet parce que c'était l'occasion pour eux de montrer ce dont ils sont capables, avec l'idée de récupérer d'autres clients derrière. Pour nous, l'avantage, c'est que nous allons disposer d'un châssis pensé autour de la voiture que nous avions imaginée.

Parlons maintenant IndyCar : comment s'est effectué le rapprochement avec Juncos ?

Ce fut un mouvement mutuel en fin de saison. Le paddock d'IndyCar est un petit monde. Vous croisez toujours les mêmes gens à droite ou à gauche. C'est une équipe dont je suis l'évolution ces dernières années. Elle fait du bon boulot et avance bien. C'était aussi l'un des derniers teams où il restait un baquet potentiellement disponible. Cela s'est fait très tard dans la saison, limite à l'ultime course. Nous avons ensuite échangé au téléphone avant de trouver un terrain d'entente.

Est-ce qu'un retour dans une écurie plus modeste et moins exposée médiatiquement peut vous permettre de repartir de l'avant après une expérience Andretti mitigée ?

Je ne sais pas si c'est le cas ou non. Quoi qu’il en soit, j'aime beaucoup l'approche de Juncos, les personnes impliquées. Effectivement, nous sommes une petite écurie par rapport aux grosses structures. Mais on a pu voir par le passé que des teams moins huppés pouvaient faire des choses très bien également. La différence avec Dale Coyne (avec qui Grosjean débuta en IndyCar avec succès en 2021. Ndlr), c'est qu'ils attaquent quelque chose comme leur 38e saison IndyCar (41e en fait, l'équipe ayant été fondée en 1984. Ndlr), et Juncos sa septième (l'écurie est présente depuis 2017 en IndyCar, mais avait manqué la campagne 2020 marquée par la pandémie de Covid-19. Ndlr). En matière d'expérience, il y a beaucoup de choses à faire. Après, nous avons des gars chevronnés au sein du team. Ensuite, c'est une équipe jeune et dynamique. Je m'y sens très bien. J'aime beaucoup la mentalité et l'ambiance générale. On verra ce dont nous sommes capables. Pour nous, ce n'est pas une mauvaise nouvelle de voir l'introduction de la motorisation hybride repoussée (après les 500 Miles d'Indianapolis 2024 fin mai, sans plus de précision pour l'instant. Ndlr). Pour les petites écuries, je pense que ça va être vraiment compliqué. Il y a, en outre, très peu d'essais avant la première course de la saison (à St Petersburg en Floride le 10 mars. Ndlr) donc il va falloir vite se mettre dans le bain.

© IndyCar Media

Ces trois dernières années, vous rouliez avec un moteur Honda. Cette saison, vous allez découvrir le propulseur Chevrolet. Qu'est-ce que cela implique ?

Il va probablement y avoir une petite période d'adaptation, car les réglages et les cartographies moteur seront un peu différents. Après, je ne m'attends pas à ce que ce soit le plus gros des défis à relever.

Votre expérience F1 peut-elle vous donner un petit coup de pouce au moment du passage à l'hybride ?

Je l'ignore, parce que je ne sais pas comment fonctionne cette technologie-là précisément. Certains pilotes ont beaucoup roulé avec, ce qui n'est d'ailleurs pas super juste vis-à-vis des petites écuries. Ç'avait l'air très compliqué et il y a encore énormément de boulot et d'intégration à mener. Je ne suis pas mécontent que ce soit décalé, parce que ce n'est pas évident d'amener une techno hybride sur un vieux châssis. Je sais qu'il y a une volonté assez forte chez Honda d'avoir cette motorisation, moins côté Chevrolet. Il faut faire attention, car l'IndyCar est vraiment une pépite en matière de compétitivité et de course automobile. Il ne faudrait pas abîmer ça avec une technologie dont on n'est pas sûrs.

Malgré les disparités entre les top teams comme Ganassi ou Penske et les équipes type Juncos, avez-vous redécouvert le plaisir de la compétition aux États-Unis ?

Oui, très clairement. Après, j'adore la Formule 1, ne nous méprenons pas. Mais quand vous vous dites qu'inscrire un point en 23 Grands Prix relevait de l'extraordinaire, cela fait un peu mal.

Quel bilan général tirez-vous de vos trois premières saisons post-F1 ? On a le sentiment qu'il suffirait d'un déclic pour que la mayonnaise prenne vraiment en IndyCar…

Je suis super content d'avoir été dans le rythme tout de suite. Très heureux également de ne pas être mauvais sur les ovales parce que c'est un format avec lequel je n'étais pas forcément à l'aise (Grosjean n'avait fait que les routiers et les circuits urbains lors de sa première campagne avec Dale Coyne en 2021. Ndlr). Après, c'est vrai que ces deux dernières saisons (sous les couleurs Andretti avec qui une action légale est en cours et que Romain ne souhaite pas évoquer. Ndlr), la victoire n'est pas passée loin. Souvent par notre faute, en raison d'une stratégie qui n'a pas fonctionné. Ou bien d'un contact avec un concurrent comme à St Pete l'an dernier (accrochage avec Scott McLaughlin à la suite d'un freinage tardif du pilote Penske alors que Grosjean était parti en pole et jouait la gagne. Ndlr). Mais ça encore, cela fait partie de la course. Ce n'est clairement pas la plus frustrante de toutes. Ça n'a jamais voulu le faire au moment où ça devait ou pouvait le faire. Quand tu gagnes une première fois, tu es forcément un peu libéré, mais ce n'est pas pour autant que cela ne peut pas se produire cette saison.

Quel regard portez-vous sur la F1 depuis votre départ en tant que pilote ? Est-ce compliqué d'y revenir comme consultant TV ?

Je n'ai vraiment aucun pincement au cœur. J'adore venir dans le paddock, car cela me permet de retrouver des gens avec qui j'ai tout de même passé pas mal de temps de ma vie. Cela reste un sport que j'aime et regarde, y compris lorsque je ne commente pas les courses. Bon, il est vrai que la campagne 2023 ne fut pas la plus palpitante de l'histoire, même si derrière la lutte pour le titre il y avait des trucs sympas. Ce qui m'embête juste un peu, ce sont les horaires décalés qui font que je n'ai plus autant l'occasion de dîner avec les copains dans un contexte plus décontracté.

Avez-vous eu l'occasion de rouler avec la nouvelle génération de monoplaces F1 ?

Non, pas du tout. J'en ai parlé avec les pilotes. Ils disent que la voiture est lourde et que cela se ressent dans les virages lents. En revanche, dans les courbes rapides, il y a toujours beaucoup d'aéro. J'ai eu la chance dans ma carrière de conduire pas mal de générations d'auto – 2009, 2014, et 2017 -, ça évolue toujours un peu, mais cela ne change pas complètement.

Les objectifs visés par la F1 avec cette nouvelle réglementation ont-ils été remplis selon vous ?

Oui et non. La course est plus intense en peloton. Par contre, un plafond budgétaire a été mis en place pour avoir davantage d'écuries qui se battent aux avant-postes et ça n'a pas encore fonctionné. Après, les voitures sont belles, on voit des batailles intéressantes derrière les leaders donc c'est plutôt cool.

À quel point est-ce délicat de trouver le bon ton pour parler de ses anciens collègues sans tomber dans la complaisance ou a contrario la punchline facile ?

Je crois que ça va, même si ce n'est pas à moi de juger, mais au téléspectateur. J'essaie de voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide. Je vais parler du pilote qui a fait du bon travail au lieu de taper sur celui qui est un peu moins bien.

© Lamborghini

De façon plus générale, comment se passe votre expatriation aux USA ? Revenez-vous souvent en Europe ?

Pour vous donner une idée, je suis rentré quatre jours l'an dernier. Nous nous sommes bien adaptés à la Floride. Dès qu'il fait moins de 20°C, nous avons tous froid et on enfile des pulls. (Rires) Nous avons la chance d'habiter dans un endroit vraiment génial.

Est-ce que certaines choses vous manquent tout de même ?

Deux trucs. Premièrement, le fromage, sans déconner. On en trouve, mais faut faire un crédit à chaque fois que tu vas à la boutique. Et deuxièmement, les paysages à l'européenne. J'ai récemment voyagé à Rome pour Lamborghini et je me suis retrouvé dans l'arrière-pays, les montagnes, les petits villages, les lacs, ce genre d'ambiance. On peut en trouver aux USA, cependant il faut faire des heures de vol. Après, je dis ça, mais où j'habite je peux prendre mon vélo et en une demi-heure je suis au bord de la mer. On n'est pas mal non plus.

Quelles sont vos bonnes résolutions pour 2024 ? Que peut-on vous souhaiter ?

De la réussite et des victoires, ce serait pas mal. Quant aux résolutions, je n'en prends jamais, ça évite de passer à côté.

Propos recueillis par Julien Billiotte

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